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JANVIER

Christophe Deylaud : Notre Rugby nous file entre les doigts...
PAR Les Barbarians

Le 24 Janvier 2017

L'ancien international français Christophe Deylaud, Barbarian à deux reprises lors de la tournée en Argentine de 1999, décrypte pour notre site internet l'actualité du rugby français. Son club du Blagnac Rugby, le Top 14, la formation et l'avenir de l'équipe de France... Voici notre intervenant de la semaine.


Parlez-nous de votre actualité à Blagnac. De quel oeil voyez vous l’arrivée de Frédéric Michalak à la tête club ?


Depuis deux mois, nous n’avions pas de match de championnat, les choses sérieuses ont repris dimanche contre Saint-Jean d’Angély à Blagnac (Victoire de Blagnac 27 - 17). À partir du moment où quelques médias nationaux se déplacent à Blagnac, c’est qu’il se passe quelque chose ! (Rires) Je crois que cela a été une surprise pour tout le monde, mais que l’arrivée de Frédéric est bénéfique pour Blagnac dans le sens où nous allons essayer de structurer un peu plus le club à travers les nouveaux moyens qui nous seront octroyés. En renforçant l’identité blagnacaise, à savoir la formation de jeunes joueurs du cru, en gardant une certaine idée de jeu, pour pérenniser le club en Fédérale 1. Tant que je serai au club, on évitera d’y parler anglais… Il y a assez de potentiel dans la région toulousaine pour garder notre identité tout en avançant dans ce championnat de Fédérale. Et pourquoi pas, derrière, viser plus haut.


Christophe Deylaud aux côtés de Frédéric Michalak lors de l'intronisation de ce dernier.


Êtes-vous épanoui dans ce club et dans votre région natale ?


Je le suis complètement. Je crois qu’à la différence d’anciens joueurs qui après leur carrière se découvrent des qualités d’entraîneur, j’ai toujours eu cette fibre. Depuis l’âge de dix-sept ans, je suis éducateur et j’entraîne ! Ce n’est pas un coup de tête, mais une vraie passion : je suis capable d’entraîner des Poussins comme au plus haut niveau, cela ne me dérange pas. Comme je le disais, je suis totalement impliqué à Blagnac, mais je ne pensais pas stopper comme cela ma carrière au plus haut niveau. Cela a été un peu décevant dans le sens où quelques joueurs sont passés entre mes mains, de jeunes joueurs à l’époque inconnus, et sont allés derrière jusqu’en équipe de France. Alors je ne dis pas, ils ont dû avoir de très bons éducateurs avant moi et de bons entraîneurs après moi. Mais la découverte de leur talent est passée entre mes doigts. Alors pourquoi les clubs n’appellent pas ? Suis-je estampillé formateur plus qu’entraîneur au sens premier ? Ce sont deux questions auxquelles je ne peux pas répondre. Je ne crois pas être un sale mec… Et je ne désespère pas de retrouver un club professionnel dans les prochains mois ou les prochaines années.


« Je n’ai pas d’agent, je travaille comme un « marginal ». Je vois le monde du rugby professionnel aujourd’hui comme un milieu un peu bloqué, je trouve qu’il ressemble de plus en plus à celui du football. Et si l’on n’est pas dans les bons papiers…

Vous vous êtes retiré du monde professionnel depuis trois ans, pour quelles raisons ?


Je ne m’y suis pas retiré de mon plein gré. À Bayonne, comme vous le savez, cela s’est fini en queue de poisson. Après la première rupture entre Christian Lanta et le club de Bayonne, il n’était pas prévu que je parte. Le club voulait me conserver, mais un « souci » avec un personnage important du club a fait qu’on m’a retiré de l’équipe première pour me faire entraîner les juniors. Après cet épisode, à l’amiable, nous avons mis fin à notre collaboration. Depuis, c’est le désert, au niveau professionnel. Je n’ai pas d’agent, je travaille comme un « marginal ». Je vois le monde du rugby professionnel aujourd’hui comme un milieu un peu bloqué, je trouve qu’il ressemble de plus en plus à celui du football. Et si l’on n’est pas dans les bons papiers… Après, je suis dans le projet de Blagnac à 100%, évidemment. Mais il est clair que si un club venait à se manifester, je rependrais rapidement la voie du professionnalisme.


Aujourd’hui, quelle équipe du Top 14 vous séduit le plus ?


En tant que toulousain, je reste fidèle à ma ville… Le Stade Toulousain, aujourd’hui, me séduit par bribes. Je crois qu’il faut laisser le temps au temps pour arriver à retrouver un déclic et des résultats à travers ce jeu de mouvement. Le travail qui est fait actuellement portera ses fruits dans peu de temps. Sinon, Clermont est très intéressant, Montpellier aussi, par sa façon de travailler. C’est une autre forme de jeu. La Rochelle, c’est très surprenant. Leur jeu offensif est très efficace… Grenoble, le paradoxe, c’est que sur l’aspect offensif c’est très intéressant. Par contre, défensivement, il y a d’énormes lacunes. Mais cette équipe me séduit par le volume de jeu qu’elle est capable d'offrir. Si l’accent était mis sur l’aspect défensif, elle serait assez redoutable à affronter et ne serait certainement pas dans les profondeurs du classement.


Quel joueur de notre championnat trouvez-vous le plus emblématique ?


Peut-être Kévin Gourdon, le troisième ligne de La Rochelle et de l’équipe de France. C’est un joueur très intéressant dans le jeu, malgré son gabarit. Pour une fois que l’on ne passe pas à côté de joueurs par rapport à leur poids ou à leur taille… À l’époque, les sélectionneurs avaient oublié Albert Cigagna, alors qu’il était le véritable patron du rugby français. Dire qu’il ne compte qu’une seule sélection en équipe de France… Enfin, je trouve que ce Kévin Gourdon possède une intelligence de jeu rare, j'aime le fait qu'il soit capable de s’adapter à toutes les situations de jeu malgré un gabarit dit « moyen ». Je lui souhaite le meilleur.


Kevin Gourdon, le troisième ligne de l'équipe de France, ici face aux All-Blacks.


À Blagnac, on parle beaucoup de votre demi de mêlée, Pierre Pagès. Que pensez-vous de ce joueur ?


J’ai du mal à comprendre comment le Stade Toulousain n’a pas su voir ses qualités… (Il est formé au Stade Toulousain NDLR) C’est pour moi un garçon au-dessus du niveau de Fédérale 1. Son problème, même si j’aime beaucoup cela, c’est qu’il prend le rugby côté amateurisme, c’est un grand enfant qui joue toujours dans la cour de récréation avec ses copains. Pour moi, intrinsèquement, il n’a rien à envier à certains demis de mêlée du Top 14. Je vais même aller plus loin, il n’a rien à envier non plus aux demis de mêlée de l’équipe de France que l’on aime à faire monter en flèche depuis quelques années. Avec plus de travail, je crois qu’il pourrait jouer au niveau professionnel sans trop de problèmes. Est-ce qu’il le veut, c’est une autre question…


Pierre Pagès, le demi de mêlée du Blagnac Rugby.


L’équipe de France maintenant. Que vous inspire l’élection de Bernard Laporte a la tête de la fédération ?


Je n’ai pas à juger l’homme, et je ne peux me permettre de juger le président non plus dans le sens où il vient de prendre ses fonctions et je ne connais pas vraiment son programme sur le bout des doigts. On m’en dit du bien, mais je ne peux pas me faire une idée aujourd’hui. Cependant, je crois fermement que Bernard Laporte peut faire bouger les choses. C’est un homme de caractère, qui bénéficie d’appuis assez solides autour de lui. À lui de démontrer cela, mais ce changement est bienvenu. Le rugby français se devait de changer d’air… Il y a deux ans, je disais qu’il fallait tirer la sonnette d’alarme parce que l’équipe de France était en train de se gangréner à cause de notre championnat. Même si Bernard Laporte a été l’un des premiers à faire venir des joueurs étrangers dans notre championnat, il agissait dans l’intérêt immédiat de son club. C’est bien là tout le problème de notre rugby actuel. Dans ses nouvelles fonctions, l’intérêt de l’équipe de France primera et Bernard Laporte est quelqu’un d’intelligent. Pour ce faire, je crois simplement qu’il faudrait le que la Ligue et la Fédération se réunissent autour d’une table et aient une vraie discussion…


« Le rugby français serait intelligent de remettre notre sport dans les écoles et d’arrêter de fantasmer sur des reportages dédiés aux jeunes néo-zélandais… »

Au contraire, la Ligue et la FFR semblent entrer en conflit direct. Votre sentiment là-dessus ?


Chacun regarde son intérêt immédiat, c’est ce que je disais. Si la Fédération et la Ligue n’arrivent pas à s’entendre, le fossé qui sépare de championnat de notre équipe nationale va encore s’accentuer et ce serait catastrophique pour notre rugby. C’est les mentalités globales qu’il faudrait changer : la priorité des clubs est d’avoir du succès à court terme. L’équipe nationale, à l’inverse des pays de Grande-Bretagne par exemple, n’importe que peu à leurs yeux. Je crois qu’elle est là notre grande problématique. Notre rugby est en train de nous filer entre les doigts. Je suis loin d’être nostalgique, mais au-delà des joueurs, ce sont maintenant des staffs complets qui se constituent d’étrangers. Où va-t-on ? Il y a tellement de talent chez nos jeunes Français qu’il faut arrêter d’aller voir ailleurs. Discutons, construisons. Car notre avenir, c’est cette putain de formation (sic). Dans le rugby universitaire et scolaire, toute la préformation, les autres nations ont une avance indéniable. Le rugby français serait intelligent de remettre notre sport dans les écoles et d’arrêter de fantasmer sur des reportages dédiés aux jeunes néo-zélandais…


Que pensez-vous du maintien de Guy Novès à la tête de l'équipe de France ?


Je crois qu’il a assez d’expérience pour ne pas se tromper sur ses choix. Mais Guy est comme tout le monde, il a une équipe à lancer et le couperet n’est pas loin au-dessus de sa tête… Il pensera à ses résultats avant tout. La base, ce serait que l’on arrive à faire joueur un maximum de jeunes joueurs français dans le Top 14 afin d’enrichir les possibilités de notre équipe de France. Et Guy fera le reste. À ce moment-là, on fera comme le Hand, comme les Irlandais en rugby, nous aurons de quoi nous appuyer. Aujourd’hui, les gens tapent des deux mains et sont heureux quand le Leinster met 60 points à Montpellier avec ses grandes stars étrangères. En face, il y a une province Irlandaise avec des jeunes joueurs mis face à leurs responsabilités. Est-ce que l’on va ouvrir les yeux là-dessus? C’est réalisable ! Il nous suffit de prendre les bons exemples.


Les nouvelles stars de notre rugby sont nos présidents…


Les gros présidents ont repris le pouvoir et font ce qu’ils entendent de leur jouet. C’est normal, puisqu’ils investissent. Leur but est de faire avancer le propre club, pas le rugby français. Je le déplore, mais c’est comme cela. Les résultats priment sur tout et tout le système est fragilisé : les jeunes, la formation, l’équipe de France. Je ne fais pas la guerre aux étrangers, si nous n’avions pas le potentiel pour, je comprendrais que l’on aille chercher des joueurs ailleurs, c’est la loi du marché. Mais qu’on ose me dire que nous n’avons pas de talents en France… Nous avons autant de talents - sinon plus - qu’en Irlande ou qu’en Écosse. Ils ont moins de moyens que nous, mais ils avancent, que cela soit avec leurs provinces ou avec l’équipe nationale. Comment changer les choses ? J’ai mes propres idées, mais on ne juge pas bon de les écouter…


« (Face à l’Australie) Tout était question d’intelligence, de lecture de jeu et d'anticipation. Je crois qu’il y a matière à s’inspirer des Barbarians »

Vous semblez très porté sur la jeunesse. Justement, l’équipe des Barbarians qui a battu l’Australie en novembre dernier comptait dans ses rangs un certain nombre de jeunes joueurs prometteurs… Que vous inspire cette équipe ?


Les Barbarians, c’est avant tout un état d’esprit. À la différence de l’équipe de France, cela peut ne vous arriver qu’une fois dans une vie. Le joueur sait qu’au-delà de la notion de plaisir, il faut qu’il honore du mieux possible ce maillot. Derrière, les joueurs se transcendent et le collectif suit. Dans ces moments-là, pas besoin de jouer dans le même club et d’avoir des automatismes. Les Barbarians, même si des joueurs étrangers sont intégrés à l’équipe, restent français ! Et les Français sont capables de s’adapter à n’importe quelle situation. Cette imprévisibilité fait notre force. Arrêtons d’être prévisibles et le rugby français se portera à merveille. Car face aux Australiens, rien n’a été imposé. Tout était question d’intelligence, de lecture de jeu et d'anticipation. Et ces jeunes joueurs, accompagnés par les anciens, ont fait tomber cette équipe d’Australie. Je crois qu’il y a matière à s’inspirer des Barbarians.


La jeunesse des Barbarians à l'oeuvre...


Vous avez disputé deux matchs avec les Barbarians. Quels souvenirs en gardez-vous ?


Mon meilleur souvenir reste Buenos Aires en Argentine. (Victoire des Barbarians 52 à 17 face au Buenos Aires Rugby Club NDLR). C’était super pour moi, car cela m’avait sorti d’une période assez douloureuse avec le Stade Toulousain. C’était en 1999, juste après mon dernier titre, j’allais quitter le club avec une certaine tristesse. Serge Blanco m’a appelé pour me demander de venir avec les Barbarians en Argentine et j’ai vécu la nouvelle comme une véritable bouffée d’oxygène. Cela m’a fait beaucoup de bien. Nous avons gagné les deux matchs (Buenos Aires Rugby Club et les Barbarians sud-américains) et vécu dix jours mémorables. C’est la rencontre de joueurs que l’on affronte lors d’une carrière et avec qui on ne prend pas forcément le temps de discuter. Je me suis fait quelques amis lors de cette parenthèse. Avec les Barbarians, humainement, quelque chose de fort et de difficile à oublier se crée et je trouve cela incroyable.


Philippe Guillard, dans un article pour le Midi-Olympique parlait de parenthèse enchantée. C’est donc comme cela que vous l’avez vécu ?


Exactement. Sortir du contexte de la pression que l’on peut subir au cours d’une saison, encore une fois, c’est une vraie bouffée d’oxygène. On vous donne un maillot, un ballon, et vous voilà dans la cour d’école. On ne vient pas tous de la même, mais on a tous envie de faire quelque chose de grand ensemble. C’est la récréation, le gendarme et le voleur, tout le monde veut être le meilleur et les Barbarians le sont souvent dans ces moments-là.


L’idée de jeu libre que prônent les Barbarians correspond donc à votre façon ce concevoir le rugby ?


Cela ne peut pas être ma conception totale, mais elle s’y rapproche, c’est vrai. La méthode française, toulousaine lors de l’ère Villepreux - le maître enchanteur de la méthode toulousaine - reste d’actualité. J’en suis intimement persuadé. La formation du joueur sur l’intelligence, la lecture et la communication reste un élément très important. On sera toujours meilleurs là-dedans que de vouloir nous faire ressembler à des Australiens qui ont une vision du rugby complètement différente.


G.V

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