Erik Bonneval : « Un vrai retour identitaire »
PAR Les Barbarians
Le 08 Février 2017
Ancien trois-quart centre et trois-quart aile international, père d’Hugo et Arthur, aujourd’hui commentateur sur Bein Sport, Barbarians de coeur et d’esprit, Erik Bonneval nous fait part de ses réflexions sur le jeu, l’équipe de France, le rugby moderne et sa culture de l’instant.
Angleterre - France samedi, qu’est-ce que vous a inspiré ce match ?
De la curiosité, dans le bon sens du terme ! Avec ce que la France a montré en novembre, il me tardait de les voir à l’oeuvre lors du tournoi. Même si les résultats n’ont pas été au rendez-vous, la manière, le jeu, l’engouement dans les tribunes étaient bien présents. Et quoi de mieux que de se confronter à ce qu’il y a de plus costaud en Europe, voire au monde ? Quand on voit ce qu’on est capables de faire par moments, je n’ai pas peur, je crois que cette équipe a de sacrés arguments à faire valoir. J’ai l’impression que nous avons enfin retrouvé une cohérence par rapport à ce que l’on veut faire sur le terrain… Personne n’est perdu et tout le monde semble tendre vers le même projet de jeu. La défaite est difficile à accepter, mais ce jeu augure de très bonnes choses pour la suite.
Guy Noves a réhabilité l’espoir ?
Je pense le pense, oui. Pour moi, Guy Novès est l’homme de la situation. C’est le retour du jeu, tout simplement ! Il suffit d’un peu de volonté et de joueurs au diapason ! Un jeu avec des passes, des joueurs qui prennent les intervalles… Nous ne sommes pas sur un jeu simple, destructeur, comme c’était le cas auparavant. Il faut savoir qu’on détruit l’adversaire sur une action et l’action suivante, c’est lui qui nous rend la pareille ! Aujourd’hui, physiquement, tous les joueurs, toutes les équipes se valent. Il faut trouver autre chose que de vouloir tordre l’adversaire ! On parle de retour du french flair, je ne sais pas, peut-être. Pour moi, c’est surtout un vrai retour identitaire : nous sommes revenus à quelque chose de beaucoup plus complet qu’auparavant. Il y a du combat, certes, mais une multitude de choses intéressantes à côté !
Guy Novès, sélectionneur du XV de France.
Depuis 2003-2004, le projet de jeu des Français est hésitant. Comment expliquez-vous le fait que les Français ont autant de mal a mettre en place une identité de jeu qui leur est propre ? D’où est-ce que cela vient ?
Le Top 14 y est pour beaucoup. Pour avoir commenté un certain nombre de matchs avec Canal +, certains matchs - les phases finales notamment - étaient catastrophiques ! Il n’y avait pas un essai, pas une attaque digne de ce nom ! Tout le monde s’est recentré sur le combat, le combat. Ils n’avaient que ce mot à la bouche. C’était d’une tristesse… On est passionnés, certes, on aime le rugby mais il n’y avait plus de jeu, uniquement du combat… On voulait singer les autres. Je crois que nous, Français, sommes persuadés que physiquement nous sommes moins grands, moins athlétiques, moins puissants que les autres. On n’a plus pensé qu’à la dimension physique, jusqu’à en oublier notre rugby ! Mais le ballon va toujours plus vite que n’importe quel homme !
Comment expliquer ce besoin de copier les autres ?
Nous nous sommes trop attachés à copier les autres, pratiquement depuis l’avènement du rugby professionnel. Mais comme toutes les copies, il faut savoir que le rendu est plus mauvais… On a admiré la puissance des Sud-Africains et avons voulu jouer comme eux. Ça nous a fait rêver un temps, les centres surathlétiques pour prendre l’axe du terrain ! Le problème, c’est qu’on ne sait plus si ce centre est troisième ligne, car tout le monde jouait à la manière des avants ! Nous avons cru que quinze joueurs sur le même modèle - des bourrins - excusez-moi du terme, c’était tout bon. Des raccourcis faciles… On ne valorisait que le physique, la défense. Mais c’est le plus facile à faire ! Tout le monde le fait ! Quand tu n’as que ça, tu ne peux pas gagner. Ou quelques matchs, face à plus faible que toi. Le rugby ne peut s’arrêter-là…
« L’exemple parfait aujourd’hui, c’est Uini Atonio. Un coup il est capable de rentrer dans un mur et de faire mal aux adversaires, le coup d’après de le fixer et donner sur un pas… Et il joue pilier ! »
Qu’est-ce qui a donc changé ?
Je crois que nous sommes revenus à des choses plus réelles. Et ça étonne tout le monde ! Regardez Gourdon, on parle de physique atypique… C’est sûr, comparé à ce qui se faisait au même poste dans les années précédentes… On préférait faire jouer un Sud-Africain, musclé comme personne, qui te défie, te rentre dans la gueule, arrive à hauteur, mais qui fait tomber chaque ballon ou presque… Plutôt que Gourdon, qui avance dans les défenses systématiquement, mais différemment. Je caricature en disant cela, mais le fond est bien réel : prendre la balle pour passer, esquiver, créer des brèches dans la défense plutôt que de vouloir détruire son vis-à-vis, c’est ça le rugby ! L’alternance entre défi et jeu, c’est la clé. L’exemple parfait aujourd’hui, c’est Uini Atonio. Un coup il est capable de rentrer dans un mur et de faire mal aux adversaires, le coup d’après de le fixer et donner sur un pas… Et il joue pilier ! Le rugby est un sport richissime, où les solutions sont nombreuses. Bon, il y a aussi plein de règles… (Rires), Mais j’aime le fait qu’on ait changé là-dessus !
Personnellement, quels sont vos meilleurs souvenirs avec l’équipe de France ?
La première chose qui me vient en tête, c’est le Grand Chelem de 1987… Trente ans déjà ! Aie ! (Rires) A cette époque, on avait vraiment l’impression que rien ne pouvait nous arriver. Qu’est-ce que ça jouait… Oui, je crois que c’est mon meilleur souvenir de carrière.
Erik Bonneval sous le maillot de l'équipe de France.
En 1986-1987 vous étiez l’un des joueurs les plus talentueux, l’un des plus élégants à voir jouer. L’égal de Philippe Sella, votre compère au centre… À la fin de cette période dorée, vous vous blessez gravement au genou. Une blessure qui va freiner la suite de votre carrière. Est-ce votre plus grand regret ?
Je le crois. J’avais à peine vingt-trois ans… Le dernier entraînement avant Écosse - France, un adversaire lors de l’opposition me tombe sur le genou. Rupture du ligament. Le pire c’est que derrière, je rejoue : contre le Zimbabwe, un quart d’heure, un crochet intérieur, le genou qui flanche, merci et au revoir… Jusqu’à où aurais-je pu aller ? À vingt-trois ans, ma carrière était devant moi et cette blessure a été plus qu’un coup d’arrêt : c’était un vrai frein durant le reste de ma carrière. Je suis rentré à Toulouse, personne n’est venu me dire ce qu’il fallait que je fasse ! Je crois même être parti en vacances avant de me faire opérer en juillet. Et la rééducation, c’était encore une autre histoire, c’était un autre rugby. Et en janvier, je joue le tournoi… Quand j’y pense, il m’était impossible d’être prêt ! Blessure au ménisque ensuite… Je crois que cette première blessure a chamboulé l’équilibre global de mon corps et plus rien n’a été pareil, je me blessais sans arrêt. Mais attention, je ne me plains pas, j’ai eu quand même beaucoup de chance dans ma carrière. J’ai joué dans un club où nous avons tout gagné, et j’ai tout gagné avec l’équipe de France, sauf la Coupe du Monde. Tout ça en trois ans… Certains n’ont pas cette chance. Mais parfois, je ne vous cache pas qu’il m’arrive encore de me demander jusqu’où j’aurais pu aller.
De gauche à droite, Guy Novès, Erik Bonneval et Denis Charvet lors de la finale de 1986.
« Le professionnalisme a emmené cette notion d’instantané, les joueurs n’ont plus le temps. On préfère des étrangers de vingt-sept ans, déjà préparés, à des jeunes de vingt ans à façonner pour construire l’avenir. Et cette folie, l’insouciance que l’on a à cet âge, on l’oublie ? »
Vous reconnaissez-vous chez les rugbymen modernes ? Quel joueur vous attire le plus par sa façon de jouer ?
Je vais parler des centres, le poste que je connais le mieux… J’aime beaucoup Gaël Fickou, et plus généralement des joueurs de son profil. Des mecs avec du peps, du ballon, des joueurs très mobiles. Pour l’époque, avec Philippe Sella, en toute humilité, nous faisions partie des joueurs relativement toniques. (Rires) S’il fallait mettre un crochet intérieur et rentrer de temps en temps dans les avants, il n’y avait aucun problème ! Je crois que Gaël correspond un peu à cela. Fickou, Fofana, Lamerat, ça me plait beaucoup. Qu’on ose dire que nous n’avons pas de talents en France…
Quel regard portez-vous sur les carrières de vos deux fils, Hugo (Stade-Français) et Arthur (Stade-Toulousain) ?
Elles ne sont pas les mêmes. Hugo a déjà une petite expérience, il est revenu après avoir eu la malchance de se blesser alors qu’il était en train de prendre de l’assurance. Il faut qu’il se refasse une vraie santé. Je crois que partir à Toulon est un bon choix, il va connaître quelque chose de nouveau, une façon de travailler différente. C’est un autre challenge, qui aura le mérite de le sortir de son « confort » parisien. C’est très bien. Arthur lui, est au commencement. Il enchaine les matchs et je suis absolument ravi pour lui, je crois qu’il a gagné la confiance des entraineurs. Sincèrement, je pense que c’est beaucoup plus dur pour eux de faire carrière dans le rugby d’aujourd’hui que dans celui de mon époque. Le professionnalisme a emmené cette notion d’instantané, les joueurs n’ont plus le temps. On préfère des étrangers de vingt-sept ans, déjà préparés, à des jeunes de vingt ans à façonner pour construire l’avenir. Et cette folie, l’insouciance que l’on a à cet âge, on l’oublie ? Vous vous souvenez du Stade Toulousain champion de France avec ses « minots » ? Je trouve cela dommage. Perdre un match aujourd’hui, c’est catastrophique. Les clubs n’ont plus le temps ! Cette pression-là, on ne la connaissait pas. Je crois que c’est assez représentatif de notre société et sa culture de l’instant. Les étrangers qui viennent en France… Je pense aux Blacks par exemple. Dans nos clubs, à l’époque, il y en avait un par-ci par-là. Et ils ne cassaient pas trois pattes à un canard ! (Rires) C’est là que tu comprenais que leur force venait de leur collectif et pas de leurs individualités. Est-ce qu’ils apportent une plus-value aujourd’hui ? Je me pose la question.
L'ainé, Hugo Bonneval, ici face au Japon avec les Barbarians. Aie !
Chez les Bonneval, on a l’impression que la vitesse est dans les gênes… Tes fils Arthur et Hugo sont aussi très rapides.
C’est un constat ! (Rires) Je ne sais pas si c’est vraiment dans les gênes, mais il doit y avoir de ça…
« J’espère qu’un jour on les verra tous les deux ensemble dans la même équipe des Barbarians… »
Les conseillez-vous beaucoup ? Sur leur jeu, leur avenir ?
Si ils m’en parlent directement oui, je peux leur donner deux-trois conseils. Mais c’est à eux de se forger leur vécu, je ne veux pas m’immiscer dans leur carrière. Et puis franchement, ce n’est pas le même rugby, ils me rétorqueraient que je n’y comprends rien ! (Rires)
Les Barbarians maintenant. Vous avez disputé deux matchs, face aux Fidji en 1989 et aux XV du Président en 1993. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Un souvenir très festif ! Le premier, c’était face aux Fidjiens pour inaugurer un stade du côté de Bordeaux… Et on avait pris trente points ! Une équipe monstrueuse sur le papier, on avait voulu jouer « façon baa-baas ». Mais face aux Fidjiens ce n’était pas vraiment une bonne idée ! On avait passé toute l’après-midi à leur courir après ! (Rires) Le deuxième match c’était pour le centenaire de Grenoble. À l’époque, on se retrouvait déjà avec un certain nombre de joueurs en équipe de France, mais les Barbarians c’est vraiment quelque chose à part. À l’époque, nous n’avions pas autant de pression, nous étions moins dans des « carcans » de jeu. Cette équipe est devenue un vrai espace de liberté, je l’ai vue de mes yeux à Bordeaux contre l’Australie. Pour les joueurs c’était une véritable bouffée d’oxygène ! Jouer à toucher sur la plage… Ce sont des choses que l’on faisait, certes, mais le faire encore aujourd’hui, avoir réussi à faire perdurer cela, c’est absolument génial ! Et derrière sur le terrain, les joueurs se sont envoyés comme des animaux ! Comme quoi, je pense que de temps en temps cela fait du bien de sortir du cadre, d’avoir de la joie et du plaisir dans ce que l’on fait…
Vos deux fils ont déjà porté le maillot des Barbarians, dont le dernier, Arthur, face à l’Australie. Une fierté de famille ?
Carrément. J’espère qu’un jour on les verra tous les deux ensemble dans la même équipe des Barbarians, cela serait très drôle !
Erik Bonneval et son fils Arthur, lors de la dernière cérémonie de remise des maillots des Barbarians.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ? À vos fils ?
Qu’ils aient plus de sélections que moi et qu’ils gagnent plus de titres que moi ! On a parfois l’impression que c’est secondaire, mais je voudrais qu’ils s’éclatent, qu’ils s’amusent, qu’ils prennent du plaisir sur le terrain. Quand tu arrives à avoir ce plaisir en général tu es efficace… C’est pareil dans le boulot !
Sans transition et pour conclure, on parle de plus en plus de compléments alimentaires, de dopage dans le rugby moderne. Comment un père de famille comme vous juge-t-il cela?
D’un très mauvais oeil. Bon, à la limite, des infiltrations pour pouvoir jouer un match sans ressentir de douleur… Je ne vais pas vous cacher que cela se faisait déjà à l’époque. Le nombre de joueurs qui ont joué avec des côtes fêlées, une cheville douloureuse… Mais franchement. Tu as beau moins ressentir la douleur sur le terrain, tu n’en demeures pas moins blessé et cela se ressent dans ton comportement. Il faudrait vraiment clarifier ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Les compléments alimentaires et tous leurs dérivés, me font peur… Les joueurs prennent de tout, à tout moment, sans bien savoir ce qu’ils prennent. Il faut être vraiment prudent. Peut-être faut-il comprendre qu’un joueur qui a été blessé, qui a besoin d’un contrat, souhaite récupérer vite… Si il est isolé, pas bien accompagné, le joueur n’est pas à l’abri de faire des conneries. On en revient à la culture de l’instant. Notre sport n’est à l’abri de rien. Il peut y avoir des dérives, et là, il ne faut pas louper les joueurs pris sur le fait.
G.V