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DéCEMBRE

Ils sont Barbarians - Guy Savoy : Son restaurant élu meilleure table du monde
PAR Les Barbarians

Le 01 Décembre 2016

Le Restaurant de Guy Savoy, la Monnaie de Paris sur le Quai de Conti, vient d’être sacré meilleure table du monde par le quai d’Orsay. L'interview des Barbarians, suivi de l'article de Jacques Verdier le directeur délégué du Midi-olympique, qui rencontrait l'année dernière ce grand chef étoilé qui n'hésite pas à comparer son activité avec celle du monde ovale...


L'INTERVIEW DES BARBARIANS


Les Barbarians sont très fiers de compter parmi eux un champion du monde…


(Rires) Denis Charvet m’a envoyé la même chose ce matin, et ça m’a fait hurler de rire ! C’était très sympa, et bien dans l’esprit Barbarians. Si vous en êtes d’accord, je partage largement ce titre avec les Barbarians, parce que votre rugby m’a toujours largement inspiré. Vous avez dû entendre maintes fois que je me suis imprégné de ce sport pour faire mes équipes, car dans la restauration aussi, c’est avec des gens très différents que l’on construit une équipe homogène.


Vous avez toujours été très attaché au rugby dans son ensemble, ainsi qu’aux Barbarians…


J’ai eu la chance, grâce à Serge Kampf, à Jean-Pierre Rives et Serge Blanco, de vivre les Barbarians de l’intérieur. Qu’est-ce qui est touchant chez eux ? Les matchs sont en dehors du temps, des « épreuves académiques », ce qui leur confère une liberté totale. Là, on n’a pas peur de mélanger les nationalités, les écarts d’âge, les personnalités différentes. De sortir des sentiers battus. Je n’appellerai pas cela de la rébellion, mais un esprit totalement libre. Et ça, c’est formidable… Je me souviens d’un match à Biarritz, face à l’Afrique du Sud. Vincent Moscato était capitaine. J’avais pu rentrer dans les vestiaires juste avant le match, et Vincent était en train de couper ses manches… Et après, pardonnez-moi le terme, il a fait un putain de discours, j’en avais les poils au garde à vous. Ils avaient battu cette grande nation du rugby. Un souvenir incroyable. Comme je le disais, je n’arrête pas de citer les Barbarians en exemple. J’aime cette manière d’appréhender les choses, de concevoir le rugby. André Boniface, Jean-Pierre Bastiat, Jean-Pierre Rives, Serge Blanco, tous les jeunes de maintenant… C’est fort, continuez !


Vous étiez très proche de Serge Kampf. La minute d’applaudissements en son honneur lors du match face à l’Australie fut très émouvante…


C’est un ami, un complice, un homme qui m’a permis de vivre des choses exceptionnelles, à travers les différents voyages de rugby, mais aussi dans la vie, tout simplement. Vous voyez, je n’arrive pas à parler de lui au passé. Ses éclairages sur les événements de la vie m’ont toujours été très précieux. Je n’étais jamais gêné pour lui demander son sentiment sur plein de choses. Nous n’avons eu qu’un seul point de discorde : il n’était pas d’accord que je quitte la rue Troyon. J’ai passé mon temps à essayer de convaincre que déplacer mon restaurant sur les bords de la Seine ne pouvait que m’être bénéfique professionnellement ! Je pense que c’était une attitude très perso, car la rue Troyon était à 300 mètres de son bureau… (Rires). Je pense qu’il avait peur que le lieu perde son âme, dans un bâtiment un peu plus solennel. Je sais qu’aujourd’hui il veille sur nous tous de là-haut. Et n’a-t-il pas poussé un peu pour que ce titre arrive ? J’ai pensé à trois personnes quand c’est arrivé. À mon papa, à Serge Kampf et à Jean Troisgros, qui était un de mes maîtres d’apprentissage. Ils font partie des gens qui comptent dans ma vie, et vous imaginez que lorsque les bonnes choses arrivent, ils y sont forcément pour quelque chose...


L'ARTICLE : GUY SAVOY : « LE RUGBY, C’EST DE LA CUISINE »



Il a quitté la rue Troyon et le XVIIe arrondissement, pour le quai Conti, le VIe et la Monnaie de Paris, comme d’autres changent de club, troquent leurs oripeaux anciens contre de plus modernes. En rugby, il fut de toutes les fêtes, de toutes les joies, de toutes les souffrances du grand CS Bourgoin-Jallieu au temps de sa splendeur. Il vivait à travers les vicissitudes de son club de cœur comme un retour d’enfance. Se remémorait ces temps déjà anciens où il usait ses culottes sur les stades de l’école de rugby berjallienne et où « Loulou » Marchand, l’une des figures emblématiques du club, maître chocolatier de son état, le recevait en apprentissage dans ses ateliers avant de le propulser vers Roanne et ses amis les Troisgros. Le rugby mène à tout à condition d’en sortir.


En amoureux de ce jeu, Guy Savoy est par ailleurs, depuis plus de vingt ans, de toutes les escapades des grands patrons du CAC 40 à travers le monde, pour suivre de manière assidue les matchs de l’équipe de France. Serge Kampf, Claude Bébéar, Jean-René Fourtou et Henri Lachmann, les plus férus de la chose, sont ses amis. Et rien n’est plus édifiant que cet aveu, au matin de notre rencontre : « J’étais hier soir encore, jusqu’à deux heures du mat, en compagnie de Jo Maso, de François Sangali et de Gérard Bertrand, venus me rendre visite... » Le rugby est partout, tout le temps, jusque dans les cuisines du grand chef étoilé.


« UN RESTAURANT, C'EST UNE ÉQUIPE DE RUGBY »


Plus qu’une salle de restaurant proprement dite, les soixante couverts que peut accueillir son nouvel établissement se partagent en une enfilade de cabinets particuliers. On songe au café Greco de Rome, la lumière et l’espace en plus. Des nuances de gris et de bleu donnent à ces îlots préservés, des allures de cocon, ouverts sur la Seine, le Louvre, le Pont-Neuf. Guy Savoy jubile et tient à rappeler à quel point, selon lui, un restaurant, dans sa structure et sa vocation, ressemble à s’y tromper à une équipe de rugby… « Dans un restaurant, les avants, prévient-il, sont à la cuisine. Les trois-quarts, ce sont les serveurs qui sont en salle. Chaque table correspond à une règle de jeu, une action de jeu. Le couteau à droite, la fourchette à gauche, voilà pour la règle. Le jeu, l’action de grâce quand elle a lieu, c’est le contenu de l’assiette. Et tout se passe sur un même terrain, à heures fixes, comme pour un match ! Le coup d’envoi se donne à 12 heures et à 20 heures. On est dans l’instant, dans l’immédiateté, comme en rugby. Rien de plus réaliste, de moins virtuel, rien de plus hyper-concret. Tout se joue là, tout de suite. Et le résultat est immédiat ! On sait très vite si le match est gagné ou perdu. Si le client, comme le spectateur sur un stade, est satisfait ».


La métaphore l’occupe et lui plaît, qui renvoie à ses deux passions communes et leurs singulières passerelles. « J’ai beaucoup appris du rugby... Je dis toujours en souriant que j’ai plus appris à l'école de rugby qu’à l’école tout court… J'ai par exemple appris qu’en équipe, on est plus fort que livré à soi-même. Que c’est avec des gens très différents que l'on construit une équipe homogène. Il n’y a pas de point commun, à part la passion, entre un pilier et un demi de mêlée. Or, on a besoin des deux. Comme on a besoin de toutes les cultures, de tous les gabarits. Il en va de même dans un restaurant digne de ce nom. Un chef de cuisine qui s'occupe des achats, n’a pas la même qualité qu’un maître d’hôtel, qu’un sommelier, qu’un voiturier, qu’un plongeur. Or tous ont leur place. Tous composent l’équipe. Et le danger, comme au rugby, c'est souvent de vouloir intervertir les rôles, de proposer à l’un de tenir le rôle de l’autre, même si c’est à des fins promotionnelles... C’est une erreur. Les hommes ont des qualités propres qu’il faut savoir utiliser. »


Cheveux blancs, visage rieur ou concentré sur l’objet de sa réflexion, une barbe de quelques jours lui mangeant le visage, Guy Savoy m’entraîne après lui le long des cuisines que la lumière du jour inonde d’un grand soleil de juin. Cuisines amples, aérées, ouvertes sur les quais, où des badauds, tout en bas, se promènent, la tête en l’air, le cœur aux étoiles. Etoiles Michelin, bien sûr. On pressent le souci du détail, comme les facilités données à ses hommes de travailler dans les meilleures conditions. « C’est une façon de libérer les envies, la création », ajoute-t-il dans un sourire. On insiste à dessein. Tout ce monde, tout ce cérémonial supposé, la gestion de cette équipe : on pourrait se croire à quelques heures d’un match essentiel... «Tu ne crois pas si bien dire, reprend-il. Moi qui suis en quelque sorte le capitaine-entraîneur de la formation - je récuse le vocable de manager - j’arrive chaque matin vers 8h30. Les autres se pointent en suivant, selon leurs prédispositions, leur travail. Je compte quand même une équipe de quarante-neuf employés, auxquels s'ajoutent dix stagiaires et apprentis. Trente-cinq personnes sont en cuisine, sept à la pâtisserie. La machine se met en route vers 9 heures et nous attendons tous impatiemment l'heure du match... Après quoi les gens repartent vers 14h30 et reviennent pour certains d’entre eux à 18 heures, où commence la préparation d’une autre rencontre... »



LA MAITRISE DES GESTES TECHNIQUES


Le calendrier ne serait-il pas trop chargé comme en rugby ? Le risque de saturation ne serait-il pas palpable ? «Ah non, s’écrie-t-il. Le restaurant est fermé le samedi soir et toute la journée du dimanche et du lundi. » De quoi poser les armes et recharger les accus. « Je tiens absolument à cette cohésion et mon rôle est justement de passer de l'un à l’autre, de surveiller, d’encourager. La cuisson d’un plat, c'est la passe. Est-elle juste ? C’est tout ce qui compte. Mais chacun, comme sur un stade, dans un cadre précis, contrôlé, peut se laisser aller à l’improvisation. Pas d’improvisation certes, pas de liberté, sans une technique parfaite. Comme au rugby toujours. La cuisson d’un filet de rouget prend quelques secondes. Mais qu'est-ce qui fait la différence ? Un peu plus de citron, un peu plus de poivre ? Il faut maîtriser l’ensemble des gestes techniques pour donner sa pleine mesure. »


Il est intarissable, au vrai sur un métier qui reste, avant toute chose, une passion. En économiste averti, il a certes gonflé sa voile au fur et à mesure des ans, jusqu’à proposer désormais, en chef entrepreneur, des établissements Guy Savoy, aux quatre coins du monde : l’atelier Maître Albert, dans le Ve ; Les Bouquinistes, dans le VIe ; Le chiberta dans le VIIIe. Mais aussi à Las Vegas et à Singapour, comme on donne le change, comme on s’impose à « l’extérieur »… Et si l’on est d’un pays comme l’on est de son enfance, on ne s’étonnera pas d’apprendre que tout est finalement parti de Bourgoin, une fois encore, où sa mère qui tenait initialement une buvette avant de créer son propre restaurant, lui apprit les rudiments de la chose, alors même qu’un don se levait, reconnaissable à cette façon qui était la sienne d’humer chaque plat que la maman mijotait avec un soin jaloux, pour en faire, plus tard, son miel propre.


On ne s’étonnera pas davantage d’apprendre que ce passionné de rugby, qui s’impose, jour après jour, une discipline de fer en pratiquant, à raison d’une heure par jour, le kung-fu et les étirements, tient l’amitié pour une chance et conserve le goût des autres, sans lesquels on n’est rien. Comme en rugby...


Jacques Verdier, Gentleman Rugby - 2015


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