Le billet de David Kirk
PAR Francis Deltéral et Gilles Navarro
Le 05 Septembre 2017
David Kirk, légendaire demi de mêlée et capitaine de la Nouvelle-Zélande championne du monde en 1987 a porté deux fois les couleurs des Barbarians. Le 22 Mai 1988 face à l'Irlande, et le 1er Novembre de la même année face aux... Maori All-Blacks. Dans "La légende continue", le livre de Françis Deltéral et Gilles Navarro, il revenait sur sa passion pour son pays et sa rencontre avec les Barbarians français. Billet.
David Kirk : La légèreté du rugby
La grande force du rugby néo-zélandais et une des principales raisons de la réussite des All-Blacks depuis plus d'un siècle, c'est l'intensité de l'environnement du rugby en Nouvelle-Zélande. Chaque match important est disséqué, analysé, débattu. Chaque joueur de renom est au centre de toutes les discussions. Les joueurs sont scrupuleusement observés et comparés à leurs pairs du moment ainsi qu’à ceux du passé. Seul le meilleur est assez bon. J'ai grandi dans cet environnement. J'ai été heureux d'être analysé et critiqué. J'ai toujours su que mon passage dans le rugby coïnciderait avec une courte période de ma vie et je voulais être le meilleur possible au cours de cette courte période. Lorsque j'eus terminé mes études de médecine en 1985, j'ai quitté Otago pour aller à Auckland. Ainsi j'ai pu jouer avec les meilleurs joueurs au monde et vérifié si j'étais capable de survivre au milieu d’eux.
Andy Haden, Gary et Alan Whetton, Steve McDowell, John Drake, Sean Fitzpatrick, Michael Jones, John Kirwan, Grant Fox, Joe Stanley ont formé une génération légendaire de joueurs et ils constituèrent également le noyau dur de l'équipe d'Auckland au milieu des années 80. L'environnement du rugby en Nouvelle-Zélande crée chez les All-Blacks du présent un profond sentiment de reconnaissance vis-à-vis du passé et une tradition de la gagne, qui est l'héritage de leurs glorieux aînés. Chaque joueur sait que ses prédécesseurs ont souffert, ont saigné pour lui donner une meilleure chance de gagner, en maintenant la réputation et le mystère de ce qu'est un All-Black. Chaque joueur sait que ce qu'il a reçu en cadeau des anciens, il doit le transmettre à son tour aux nouveaux arrivants. Il y a là une sublime grandeur. Ce qui est donné aux générations futures se fait tout naturellement. Il n'y a pas le choix. L'obligation est trop forte, l'histoire est trop importante pour qu'il n'y ait pas d'autre option que de gagner.
"Les Barbarians français sont reconnus pour démontrer la légèreté du rugby".
Les Barbarians français m'ont montré qu'il y avait une autre façon d'honorer les anciens et de donner aux jeunes qui arrivent. Ce grand club m'a montré que si le poids des responsabilités chez un All-Black peut être très lourd à supporter, le même fardeau chez un Barbarian français peut être léger. Un Barbarian français ne participe pas seulement à l'histoire et à l'avenir du club, il donne aussi une idée du rugby, qui est en dehors de l’histoire. En rugby, l'idée est que quand le sifflet retentit pour donner le coup d'envoi d'un match, rien n'est écrit, rien n'est déterminé à l'avance et rien ne se reproduira de la même façon. Quand le coup de sifflet retentit, les joueurs sont prêts et libres de créer une nouvelle histoire. Leur futur n'est pas relié au passé, comme le ballon d'un enfant attaché à une ficelle. Le ballon s'envole au gré du vent, il virevolte, monte et descend dans les airs. Il ne peut pas trouver son propre chemin, il ne peut pas faire le tour du monde et il ne peut pas, à la fin, éclater dans un instant de désastre final, même si c'est le prix de la liberté.
Les Barbarians français sont reconnus pour démontrer la légèreté du rugby. Dans les test-matches on ressent toute la lourdeur du rugby, le besoin pour une équipe, avec une histoire à défendre et un futur à s'approprier, d’accepter qu'elle n'est pas libre de faire n'importe quoi, mais qu’elle doit trouver le chemin de la victoire. Mais les Barbarians français sont libres de reconnaître la nature fugitive de l'action et de la réaction, de la cause et de l'effet, de la vie et de la mort qu'est le rugby. Il ne s'agit pas de dire que le score ne compte pas. C’est normal qu'un club, comme un homme, cherche à marquer son passage dans la vie, mais ce n'est pas ce que les Barbarians français ont cherché à célébrer et à honorer.
Les Barbarians français sont la parfaite illustration de la légèreté, qui fait qu'ils acceptent que les quatre-vingts minutes d'un match de rugby ne puissent être vécues qu'une fois, jouées qu'une fois avec les mêmes joueurs, qu'elles ne contiennent seulement qu'une fois ces moments de divine inspiration. Cette légèreté qui est dans le même temps l'expression d'une inaltérable et éternelle idée du rugby, l'idée que nous sommes libres de dessiner des images sur la surface de l'eau et que nous nous les rappellerons toutes. Je n'échangerai pas un seul moment de ma carrière chez les All-Blacks. En toute humilité, j'ai été à la fois un héritier et un légataire de la plus fière tradition de rugby dans le monde. Mais sans les Barbarians français je n'aurais jamais connu la véritable légèreté du rugby. C'est le cadeau qu’ils m’ont fait.
Que ce soit avec les All Blacks ou avec les Maoris, Wayne Shelford a toujours montré le chemin à suivre. Ici, il va percuter Alain Lansaman. David Kirk (à gauche) mesure déjà le danger...
Le match : Barbarian Rugby Club 14 - 31 Maoris All-Blacks, novembre 1988
Kirk contre les siens
A l’époque du rugby amateur, les All-Blacks ne voyageaient pas à la demande. Aucune tournée n’était prévue pour les premiers champions du monde, sacrés quelques mois plus tôt à Auckland face à la France. Aussi les Maoris menés par Wayne Shelford et Steve McDowell avaient répondu à l’invitation des Barbarians. Une première pour le rugby français et pour les Barbarians, qui avaient invité pour la circonstance le capitaine des champions du monde, David Kirk, en semi-retraite à Oxford. Lequel n’avait jamais joué contre les Maoris comme ses compatriotes. Imaginez le bonheur de jeunes landais de Mont-de-Marsan, Tyrosse, Hagetmau, d’être commandés par une telle légende. « C’était une immense fierté », raconte Marc Dal Maso, qui garde au milieu de ses souvenirs et trophées une photo à sa sortie des vestiaires de Barbe d’Or entre David Sole, le pilier écossais, et Wayne Shelford. « Shelford, un monstre comme Rodriguez. » Et que dire de Pascal Vanthournout, anonyme remplaçant, auquel le brave Alain Lansaman laissa sa place à l’heure de jeu : « Il n’était pas blessé. Il m’a dit : Tu mérites de jouer, c’est ton match. »
Kirk, lui, parla très peu ce jour-là. Ce qui étonna quelque peu Christian Delage, ô combien honoré de constituer une charnière avec un tel joueur : « J’ai été un peu déçu par sa façon de diriger. En fait, je pense qu’il devait amener les Blacks de manière différente. En tout cas, ça n’avait pas été simple. Nous avions été dominés. Nous avions essayé de produire du jeu, mais on s’était exposés. » Comme toujours contre les Blacks. « Ce n’étaient peut-être pas les All-Blacks », plaisante Éric Blanc, le plus Barbarian des Parigots de Gennevilliers. « Bon joueur, chic type, aimant l’attaque, selon les canons du Barbarian définis par Jean-Pierre Rives. Mais ils leur ressemblaient beaucoup. » Donc, le tarif syndical pour les Barbarians battus ( 14-31), mais loués par David Kirk : « Non, non, ne croyez pas, ils ne sont pas invincibles les Blacks. Mais l’essentiel est de bien faire les choses simples. » Mais comme ne cesse de le répéter la magnifique danseuse étoile Sylvie Guillem, « les choses les plus accessibles sont souvent les plus dures à réaliser, car il est très facile de mal les faire ».
Alain Lansaman ayant eu l'élégance de lui laisser sa place pour le dernier quart d'heure, Pascal Vanthournout, devant son public de Mont-de-Marsan, marquait un essai face aux Maoris...