Voici venu le temps des Barbarians
PAR Jacques Verdier
Le 02 Août 2016
Je ne partage pas le pessimisme de ceux qui estiment que l’époque des Barbarians serait révolue au prétexte que le jeu de rugby, en se professionnalisant, serait devenu un sport business inapte au romantisme, sourd à toutes formes d’excentricité. Si être Barbarian, comme le professe Jean-Pierre Rives, relève du désir de liberté, de bien se tenir, de saupoudrer le gris du quotidien d’un peu d’humour, d’appréhender le jeu et la vie selon un code qui ne serait justement pas universel, alors l’aventure est loin d’être terminée. Elle prend même tout son sens par les temps formatés, aliénés, déculturés que l’on voit.
Parce qu’enfin! Etre Barbarian à l’époque de l’amateurisme triomphant, du rugby de bohème, du jeu comme il vient, c’était mélanger passablement les genres. Lolo Pardo était-il Barbarian quand il arpentait en solex je ne sais plus quelle île méditerranéenne, alors que Toulon, où il avait signé, l’attendait pour un stage de début de saison? Pierre Chadebech était-il Barbarian quand il restait, au soir des matchs, dans les villes hôtes qui l’avaient vu jouer, abandonnant son équipe de Brive l’espace d’un jour ou deux, dans le pur espoir de s’y faire des amis, de rencontrer ses semblables? Jean-Pierre Garuet, Philippe Dintrans, Pierre Dospital, étaient-ils Barbarians lorsqu’ils partaient en cachette de Jacques Fouroux, leur entraîneur en équipe de France, manger du fromage et boire du vin rouge dans les « écuries » du château de Clairefontaine, où le personnel les recevait comme les enfants de la famille?
Éric Blanc, Franck Mesnel, Philippe Guillard, étaient-ils Barbarians quand ils buvaient du champagne à la mi-temps d’une finale de championnat et arboraient, pour la même occasion, de formidables noeuds papillon roses sur leur maillot du Racing? Et Jean-Pierre Rives justement, était-il Barbarian, quand il peaufinait sa préparation internationale par des footings réalisés en solitaire dans les allées ombreuses du Jardin du Luxembourg, négligeant les entraînements collectifs et ne disputant, en tout et pour tout, que cinq rencontres de championnat par an? Des exemples de cette eau, le rugby d’autrefois en abonde : de Patrick Nadal, préférant à une sélection en France B, les bras d’une jeune fille qui avait su capter son attention ; à Jean Trillo refusant une sélection en équipe de France au prétexte qu’il n’avait pas été associé à Jo Maso au centre de l’attaque. C’est tout le rugby qui était Barbarian ! Qui propageait alentour, avec tous les excès de circonstance, ce front de liberté, d’insouciance, de légèreté qui donnait du sel à l’existence et des « valeurs » au jeu que l’on aime.
Mais aujourd’hui? Quoi de plus terrifiant qu’un poète? Un écervelé? Un brindezingue qui n’obéirait pas aux ordres donnés, raterait un rendez-vous avec un partenaire, se croirait tenu de dire ce qu’il pense à des journalistes sans en avoir référé au préalable à son entraîneur, ou pis, ne correspondrait pas à l’image parfaite, idyllique, irrévocable, que des aides en communication ont dessinée pour lui? Quoi de plus rare, aujourd’hui, qu’un Barbarian dans l’âme ?
S’il y a lieu de sauver l’espèce, de lutter pour le maintien d’une race de rugbymen en danger, de rappeler que le rugby ne fut pas seulement un sport exigeant pour le corps, mais qu’il le fut aussi pour le caractère et qu’à cette aune le courage intellectuel vaut au moins autant que le courage physique : c’est aujourd’hui qu’il faut militer !
Comment? En multipliant, comme il se doit, les rencontres où l’esprit Barbarian puisse perdurer. Et si cela ne saurait suffire, comme on l’imagine, il est peut-être temps de faire des Barbarians, une sorte de franc-maçonnerie du rugby, où une certaine idée du jeu - et de donc de la vie - serait prolongée, partagée, enseignée, via des rencontres mensuelles ou trimestrielles, des aides faites aux clubs en difficultés, aux écoles de rugby, des prix annuels remis aux joueurs ayant le mieux répondu à cette idée noble et folle, éminemment subjective, d’un rugbyman admirable d’intelligence et de courtoisie, de courage et d’abnégation. Pour tout vous dire, je verrais bien cette cérémonie accompagner celle de remise des Oscars Midi-Olympique, comme je m’engage à faire de la place dans le journal du rugby pour rendre compte justement, pour témoigner, d’une oeuvre qui reste à faire et qui me parait devoir s’imposer comme jamais.
Alors, peut-être, pourrons nous paraphraser Rimbaud et hurler au jour qui se lève : Voici venu le temps des Barbarians !
Extrait de « La légende continue… », livre de Francis Deltéral et Gilles Navarro.
Dès la rentrée, en partenariat avec les Oscars Midi-Olympique, élisez le meilleur des vôtres grâce au Prix Barbarians Serge Kampf. Le plus Barbarian d’entre vous : à travers les notions de générosité, d’audace, de liberté et de folie. À vos votes…