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AOûT

Les leçons de Serge Kampf
PAR Midi Olympique

Le 03 Août 2016

Mécène du rugby français, le président fondateur de Capgemini, aura pesé de toute son influence sur l’évolution du rugby français dont il pourfendait pourtant les dérives récentes. Mais c’est l’homme, admirable, auquel ici on souhaite rendre hommage


Il adorait le rugby mais déplorait son évolution. Il avait cru deviner en chaque rugbyman un être d’ombre, de courage, d’humilité, de tendresse bourrue, de générosité sans faille. Il prêtait de la hauteur à ces hommes capables de donner le meilleur d’eux-mêmes pour trois fois rien, si ce n’est rien, bien sûr, une certaine idée du jeu, de soi, de la vie en communauté et de sa part de fête. Dans les années 1980, il avait été fasciné par le meneur d’hommes qu’était Jacques Fouroux et plus encore par l’extraordinaire talent de Serge Blanco, l’indomptable courage de Jean-Pierre Rives. Les uns et les autres ajoutant à ces qualités premières cette part d’humour, d’intelligence et de légèreté qui semblaient tellement enviables à cet homme d’affaires rompu aux lois du business, où la générosité est rarement de mise, où les chausse-trappe abondent, où les hommes se cuirassent de perfidie. C’est pour des êtres comme Rives, Fouroux, Blanco, comme pour l’état d’esprit qui baignait le rugby amateur, qu’il avait aimé ce sport et le défendait avec un acharnement admirable.


Le rugby comme métaphore de la vie


Chemin faisant, il allait entraîner à sa suite tout ce que le CAC 40 comptait d’amoureux potentiels, mais aussi des hommes politiques, des grands chefs, des journalistes de renom. Le rugby, à son aune, était une métaphore de la vie. Les hommes s’y découvraient, donnaient le meilleur d’eux-mêmes et il crut de son devoir de les aider autant que faire se pouvait. « L’argent n’a jamais été mon moteur me disait-il. L’argent ne fait pas le bonheur. Le bonheur, c’est de savoir les autres heureux. Et si j’ai pu contribuer un tant soit peu à cela, en aidant les autres, c’est tant mieux ». Sa générosité, on le sait, était sans faille. En quarante années passées à la tête de Capgemini, il aura cédé, à des conditions très avantageuses, la moitié de ses actions à ses collaborateurs, faisant ainsi la fortune de nombre d’entre eux. En 1996, il fit à 244 managers du groupe un cadeau royal d’un montant total de plus de 600 millions d’euros. Et l’on ne compte plus le nombre de rugbymen, ses frères, qu’il aura aidés sans espoir de retour, par amitié ou sympathie. Comme il aura soutenu, sur ses propres deniers, sans jamais le dire, sans jamais s’en prévaloir, les clubs de Grenoble, Biarritz, Bourgoin, Auch, Lourdes, Paris…


Homme de silence, homme de convictions, homme de caractère, il estimait pourtant n’être pas légitime – c’était son expression – pour satisfaire aux nombreuses tentatives d’interview que la presse lui demandait sur la vie de ce jeu, dont il connaissait pourtant tous les rouages et pour lesquels il œuvrait dans l’ombre selon des valeurs qui lui étaient propres. Il fut, à cet égard, l’un des personnages les plus influents du rugby français sur les trente-cinq dernières années. Au point qu’aucune décision d’importance ne fut jamais prise sans son aval.


Mais il n’aimait pas la façon dont ce sport évoluait. L’argent Roi, les narcissismes galopants, la violence des contacts, lui répugnaient. « Ce sport se fourvoie, me répétait-il souvent et je ne suis plus sûr de beaucoup l’aimer. » Ces derniers temps, il tempêtait contre les silences de Pierre Camou, pour lequel au demeurant il avait de l’affection, l’absence de décisions fortes à même de ramener le rugby à sa source – non pas l’amateurisme dont il avait fait son deuil, mais vers ses valeurs premières, son droit à la différence dans le monde du sport business. « On a aimé ce sport pour sa différence, pour le caractère des hommes qui pouvait s’exprimer à travers lui, pour son étrange liberté. On est en train de l’édulcorer, d’en faire un sport comme les autres et ça me désole à un point que tu ne saurais imaginer.»


Pour l’amour des Barbarians


Serge, au vrai, qui me fit l’honneur de sa confiance et de son amitié, ne jurait plus ces derniers temps que par les Barbarians. Il s’était amouraché de cette équipe dans les années 80 et regrettait là encore que ses plus fidèles amis ne lui accordent plus toute l’attention que pareille institution méritait à ses yeux. Les Barbarians français, pour lui, représentaient le dernier recours contre le désenchantement actuel, le dernier symbole d’un rugby libre tel qu’il l’avait aimé et s’il avait beaucoup donné pour sa cause, il désespérait de voir cette « famille » sombrer, peu à peu, dans l’indifférence. Il y a douze jours à peine, avant que la maladie ne l’emporte, lors de notre dernière conversation téléphonique, il ne me parlait plus que de cela et m’exhortait à ranimer les dernières bonnes volontés. « Je compte beaucoup sur Denis (Charvet, ndlr) à cet effet. Je compte sur vous tous pour vous en occuper. »


C’était en quelque sorte le testament d’un homme sur l’âge qui savait ses jours comptés et ne vivait plus là que par procuration. Je souhaite pourtant retenir que cet homme qui avait perdu son père très tôt – « le virage initiatique est peut-être là, me disait-il » - et s’était construit dans la dureté et une certaine forme de solitude, cachait sous cette écorce abrupte, une rare sensibilité et une grande part de tendresse. Mais il tenait de Stendhal, qu’il admirait, comme il admirait toute forme de littérature, qu’il ne faut pas montrer sa fragilité et que la tristesse n’est jamais un spectacle. Il aimait aussi me rappeler cette phrase, qu’il attribuait à Pierre Dauzier et dont il voulait que le sens perdure : « Le rugby est ce sport où, à tous les âges de la vie, on peut se faire des amis d’enfance ».


Aujourd’hui, où déjà il nous manque, on se promet de retenir ses leçons.


Jacques Verdier

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