Jacques Fouroux, le petit Timonier
PAR Francis Deltéral et Gilles Navarro
Le 14 Décembre 2017
Dans le livre « La légende continue », Francis Deltéral et Gilles Navaro racontent l’histoire de Jacques Fouroux, un homme sans qui le Barbarian Rugby Club n’aurait jamais vu le jour…
S'il y a une chose que ne méritait pas Jacques Fouroux, mais alors pas du tout, c'est d'être parti aussi tôt. Comme son illustre et glorieux compatriote gascon le comte d'Artagnan, Jacques avait une âme de mousquetaire. Il fallait qu'il ferraille sans arrêt, qu'il combatte l'injustice, même s'il n'avait pas toujours raison. Il était comme ça, toujours prêt à monter au créneau et à épouser quelquefois les causes les plus invraisemblables. Il avançait sans peur, avec envie, avec enthousiasme, parfois avec une passion aveugle, parfois avec effronterie, ce qui lui valut autant d'ennemis que d'amis. Il est vrai que, très tôt dans sa jeune carrière, il avait été marqué au fer rouge par l'injustice. Il a 20 ans, il joue à Cognac. Pour la première fois il est sélectionné pour le match de l'équipe de France contre l'Irlande, à Colombes, qui devait constituer la deuxième levée du premier Grand Chelem de l'histoire des Français dans le Tournoi. Associé à Jo Maso à l'ouverture. Mais, le dimanche précédent le match, à Auch, Maso se blesse. C'est sa maman qui lui apprend la nouvelle au téléphone: « Il n'a pas de chance, lui répond le fiston. Moi, j'ai été plus chanceux, je ne me suis pas blessé. »
Les sélectionneurs, parmi lesquels Guy Basquet, son futur protecteur, décident alors de recomposer la paire de demis, en sélectionnant les Lourdais Jean-Henri Mir et Jean Gachassin. Exit Fauroux. Une horreur, une profonde injustice. D'autres ne s'en seraient jamais remis. Jacques, lui, va se servir de ce levier pour rebondir. Il quitte Cognac pour la Voulte. Dans l'ombre des Camberabero, il croise Jean Liénard. Une rencontre déterminante. Liénard devient son père spirituel : « Mon ami et mon maître, a toujours dit Fouroux. J'avais tendance à en faire trop, à essayer de briller individuellement. Jean m'a appris à jouer pour les autres.» C'est à La Voulte, au contact de « Monsieur Jean », pour lequel il avait une véritable dévotion, qu'il forge son âme de chef, avant de devenir le « Petit Caporal». Il y vient finalement en équipe de France. En 1972, à Dublin, pour un Irlande - France, hors-tournoi. De ce jour commencent les critiques, les querelles, les rivalités avec Max Sarrau et Richard Astre. « En fait, explique Jean-Pierre Bastiat qui veilla souvent sur lui, il ne comprenait pas qu'il n'y ait que sa mère qui l'aimât. » Et cela ne s'arrêta qu'à sa mort. Lui, en gascon opiniâtre, ne céda jamais de terrain.
En 1975, en Afrique du Sud, il convoque même les dirigeants, Albert Ferrasse en tête, pour leur demander pourquoi ils lui préfèrent Richard Astre ; étant donné qu'au départ de la tournée il avait été annoncé qu'il y avait deux capitaines : Astre et lui. « Vous ne m'avez pas donné ma chance. Les dés étaient pipés. » Guy Basquet confirme : « Jacques Fouroux a mené une campagne, pour stigmatiser la présence fréquente de Richard Astre dans les parties de cartes organisées dans la chambre du directeur de tournée, Marcel Batigne. » C'est à partir de là qu'il commence à entretenir des diatribes, des polémiques avec les uns et les autres, surtout contre les médias. C'est aussi à partir de cet esclandre en Afrique du Sud, qu'il gagne l'admiration de Ferrasse et Basquet. En 1977, il tient sa revanche. Soutenu par « Toto » Desclaux, qui l'appelait le « petit timonier », il remporte avec les quatorze mêmes coéquipiers (exploit unique) le Grand Chelem dans le Tournoi. Fort de ça, il claque la porte de I'équipe de France après 28 sélections dont 21 en qualité de capitaine, non sans avoir dit ses quatre vérités à Elie Pebeyre, le chef des sélectionneurs. Avant ce qui allait être, cette même année, son dernier match avec l'équipe de France, contre la Roumanie, à Clermont-Ferrand, il réunit à l'hôtel tous les joueurs et demande à Elie Pebeyre d'assister à son discours: « Comme je ne veux pas que vous ayez le plaisir de me virer, je vous annonce que je dispute aujourd'hui mon dernier match. »
Il faut croire que Ferrasse et Basquet aimaient ce caractère frondeur. Ils en feront ensuite pendant dix ans (1981-1990) l'entraîneur à succès de l'équipe de France, un vice-président de la FFR, avant que Jacques Fouroux ne veuille accélérer le cours de l'histoire et prendre de force la présidence de la Fédération. Erreur de stratégie. Ce fut le coup de trop. li tombe en disgrâce. Dès lors, c'est un chemin cahotant qu'il suit. Des amitiés s'étioleront. Décidant de passer au rugby à XIII, il ira même au devant de ses amis pour leur dire qu'il ne mérite plus d'être Barbarian, lui qui, au temps de sa splendeur, avait déployé tous ses efforts et activé tous ses soutiens pour les faire naître. « Jacques, on ne démissionne pas des Barbarians, lui répond Jean-Pierre Rives. Quand on est Barbarian, c'est pour la vie. » « Sans lui, nous n'aurions rien fait », martèle Gérard Cholley, un de ses plus fidèles lieutenants. « Franchement, il aurait été impensable qu'il ne soit pas avec nous, souligne Jean-Claude Skrela. C'est grâce à lui que nous existons. »
Retiré dans un quasi anonymat, Jacques Fouroux s'accroche jusqu'au bout à ce rugby auquel il a consacré toute sa vie. Quelques mois avant sa mort, alors qu'il avait accepté une énième mission à Aquila, en Italie, et qu'il s'était rendu à un rendez-vous des Barbarians, il avait répété une nouvelle fois, avec force : « Le pouvoir ne peut pas se passer des Barbarians pour tout ce qu'ils apportent avec leurs anciens et leur esprit. » Le message a été entendu…