Robert Paparemborde : Ce Patou de Travers
PAR La Légende Continue
Le 16 Janvier 2018
Robert Paparemborde appartenait à cette catégorie d'hommes que l'on croyait indestructible. D'où son surnom de « Patou » en référence à ce gros chien des Pyrénées, qui gardait les châteaux, protégeait les troupeaux des ours et des loups, et avait une place de choix à la cour de Gaston Phoebus ou de Louis XIV.
Marmoréen en mêlée, habile balle en main, rapide et agile quelquefois comme une truite du gave d'Ossau, taiseux sur le terrain, rien ne semblait pouvoir l'ébranler. Même les coups les plus tordus de ses adversaires, qui n'avaient pas d'autres moyens pour le remettre dans l'axe et l'obliger à pousser droit, alors qu'il prenait un malin plaisir avec ses épaules en « bouteille de Saint-Galmier » à vous détruire toutes les mêlées du monde. « J'ai appris ça au judo, expliquait-il. Tout est une question de déséquilibre. La mêlée, c'est pareil. li faut éviter de subir toute la pression qui s'exerce sur toi. » A chaque match, dans ses premières années comme pilier droit de la Section Paloise, il avait droit à un traitement de faveur de la part des deuxièmes lignes adverses. Même de la part de son ami de joug en équipe de France, Jean-François lmbernon, qui, pourtant, avait une admiration sans égale pour l'homme et le pilier, que ce dernier lui retournait sans retenue : « Lui et Palmié, quand tu les sentais derrière toi, c'était un peu comme si tu portais un protège-dents, ça sécurisait drôlement. »
« Oui, mais, une fois, contre Perpignan, raconte lmbernon, il se met en travers en mêlée. Je lui envoie une torpille. Oh ! Tu me fais ça, à moi ? Tu n'as qu'à te mettre droit, je lui réponds. » Pas grave, il y a longtemps déjà que « Patou » avait perdu son clavier de devant, victime de chasseurs de primes pas franchement héroïques. En fait toute l'histoire de Paparemborde est partie de cette curieuse déviance qu'il avait à pousser en travers en mêlée, pour disloquer la première ligne adverse et empêcher le talonneur adverse de talonner. Eût-il poussé normalement que l'histoire eut été différente ! Allez donc savoir !
Eût-il suivi les conseils de sa maman, qui l'avait mis pensionnaire au lycée Louis Barthou de Pau afin qu'il devienne instituteur, son destin, peut-être eut été différent ! Attiré par le hand-ball et le judo, c'est au rugby et en pilier qu'il se retrouva, en équipe de France juniors avec un certain Claude Spanghero, puis trois-quart centre, le temps d'un seizième de finale gagné contre Agen en 1968. En tout cas, il fallut à une époque un bon soutien médiatique, et les recommandations réitérées de « Toto» Desclaux, Michel Celaya et Benoît Dauga, pour que les sélectionneurs, enfin, le lancent en Afrique du Sud, en 1975, à 27 ans, craignant jusque-là qu'il ne soit la cible des arbitres à cause de sa réputation de pousseur en diagonale. Et là, coup de chapeau à Michel Celaya qui comprit tout de suite tout l'intérêt que la mêlée de l'équipe de France tirerait de Patou à droite avec Cholley à gauche, où il était plus à son aise.
C'est ainsi que Robert Paparemborde fut à la mêlée ce que Michel Platini fut aux coups de pied arrêtés ou, si vous préférez, Claude Monet à l'impressionnisme. Pilier de légende, joueur dans l'âme (8 essais en équipe de France pour 55 sélections), capitaine intérimaire en club et en équipe de France ( 5 fois), entraîneur libertaire avec le Racing et son fameux « show bizz », puis manager - « j'étais vite arrivé à mon seuil d’incompétence » - il eut l'intelligence de vivre avec son temps. « Nous les trois-quarts, au Racing, on ne voulait pas d'entraîneur qui nous tombe dessus sans arrêt, raconte Yvon Rousset. Un jour, tout de même, il se décide à venir nous voir nous entraîner. Quatre combines, on fait tomber trois fois le ballon. » Il veut intervenir. Rousset le coupe : « Patou, tu étais pilier, toujours plié en deux. Tu regardais les autres, la tête entre les genoux. Alors, regarde nous entre les genoux et tu pourras donner ton avis. » Patou fait la moue et s'en va : « Bof ! Vous me cassez les couilles ! » Et il n'est jamais revenu.
Robert Paparemborde fut le parfait exemple de la réussite professionnelle du sportif amateur. On le croyait viscéralement attaché à Pau et à son village de Laruns, où il repose pour l'éternité, mais c'est à Paris qu'il est venu rejoindre son ami, son frère Jean-Pierre Rives. « Ma hantise, c'était de finir ma vie à Pau derrière une caisse enregistreuse. » Il s'est lancé avec succès dans le business parisien. Lui qui s'endormait dans le car sur le chemin du Parc des Princes, qui souriait intérieurement aux préparations psychologiques musclées, quelquefois ahurissantes, de Jacques Fouroux, qui se moquait des querelles de paroisse régnant dans le rugby français, se réalisa aussi comme vice-président de la FFR et manager des équipes de France, avant de se retrouver sur la touche, comme cela lui était déjà arrivé en qualité de joueur, lorsque son ami Jacques Fouroux l'avait écarté sans état d'âme de la mêlée tricolore. D'où une période de discorde avec certains de ses amis. Il n'avait pas trop bien vécu cette époque. « Jusqu'à ce que la Fédération explose de tous les côtés, disait-il. On a commencé alors à vivre notre vie avec les Barbarians. Sans être en opposition, il fallait sortir du carcan fédéral. »
Plutôt avare de confidences, réservé sur ses sentiments, il n'avait pas caché qu'il avait alors retrouvé avec bonheur ses frères d'armes. Pour lui, les Barbarians avaient, enfin, trouvé leur vraie place. Il rêvait d'un véritable espace de liberté pour tous ces jeunes gens qui n'avaient pas eu la chance de vivre le rugby comme un agréable passe-temps parce que les circonstances leur avaient donné la possibilité d'en faire leur métier. Que faire pour ces jeunes garçons qui jouaient au rugby pour gagner de l'argent, alors qu'à lui et ses contemporains on leur avait donné de l'argent pour pratiquer leur sport favori ? La formule d'Antoine Blondin lui plaisait. Et rien ne le mettait plus en colère que d'essuyer le refus d'un président de club, qui ne voulait pas libérer un joueur pour un match des Barbarians.
Eternelle discussion au sujet de la place des Barbarians dans ce rugby professionnel. « Mais oui, plus que jamais, ils ont leur place, répondait-il. C'est normal qu'il y ait une évolution. Mais il faut perpétuer ses valeurs, ne pas se laisser gagner par l'argent. Je suis certain qu'avec Jean-Pierre (Rives), qui est le pape des Barbarians sur terre, ça continuera. Cela doit continuer. » Mais, là encore, mon cher Patou, il faut quelquefois pousser en travers.
Par Francis Deltéral et Gilles Navarro "La légende continue"